La filière française du lait biologique fait face à un défi de taille. Tandis que la consommation reprend timidement après plusieurs années de stagnation, la production, elle, s'effondre.
Cette dynamique de ciseaux laisse présager un déséquilibre majeur : selon les projections, la France pourrait se retrouver en situation de manque de lait biologique d'ici 2026.
L'enjeu est désormais crucial : comment stopper l'hémorragie des exploitations et sécuriser le potentiel de production pour répondre au redémarrage du marché ?
Les signes alarmants d'un recul de la production
Les chiffres de la filière témoignent d'une crise de l'offre sans précédent.
Une vague de cessations d'activité
Le nombre d'éleveurs de vaches laitières biologiques est en chute libre. En août 2025, on ne comptait plus que 3 672 éleveurs, marquant une baisse de 6 % sur un an (par rapport à août 2024) et de 15 % par rapport au pic atteint en 2023.
Cette tendance s'accélère. La dernière étude du Centre National Interprofessionnel de l’Économie Laitière (CNIEL) annonce une accélération des arrêts pour l'année à venir, avec 160 arrêts d'exploitations, représentant un volume de 55 millions de litres de lait. Ce chiffre est trois fois supérieur aux estimations de l'enquête précédente.
Fait notable : ces départs concernent principalement les grandes exploitations. Parmi celles qui cessent la production bio, 80 % font le choix de la reconversion vers le modèle conventionnel, tandis que les 20 % restants mettent définitivement fin à leur activité laitière.
Les causes de ce désengagement
La principale raison de ce désintérêt est économique : l'écart de prix entre le lait bio et le lait conventionnel est jugé insuffisant pour couvrir les surcoûts inhérents au mode de production biologique.
L'écart moyen se situait entre 40 et 50 € par 1 000 litres sur les douze mois glissants en 2025.
Les coûts de production bio, déjà élevés, ont été accentués par des facteurs climatiques, notamment un printemps 2025 relativement sec, qui a pu exiger l'achat de davantage d'aliments pour le bétail.
Baisse anticipée de la collecte
En conséquence, la collecte nationale de lait bio, déjà en recul de 13 % par rapport à son maximum de 2023, s'élevait à 1,128 milliard de litres en août 2025.
Les prévisions tablent sur une nouvelle chute, ramenant le volume à peine au-dessus du milliard de litres d'ici fin 2026.
La demande redémarre : un marché à double vitesse
Parallèlement à la crise de l'offre, la demande en produits laitiers biologiques montre des signes encourageants de reprise.
Une reprise française timide mais réelle
Après une longue période de morosité, la consommation française repart. On observe :
- Une légère hausse des fabrications de produits laitiers biologiques de +3 % sur les sept premiers mois de l'année.
- La première augmentation de la consommation nationale en août 2025 après quatre ans et demi de stagnation.
Cette reprise est tirée par deux canaux principaux :
- Les ventes en magasins spécialisés ;
- Le développement de la consommation en restauration collective, qui a progressé de +30 % en équivalent lait entre 2023 et 2024, notamment sous l'impulsion des lois Egalim visant à intégrer davantage de produits durables dans les cantines.
Dynamique européenne
Le redémarrage de la demande est d'ailleurs encore plus prononcé chez certains de nos voisins européens, notamment en Allemagne et en Autriche, signalant un potentiel de croissance soutenu.
Les facteurs d'évolution et la prudence des collecteurs
Plusieurs éléments pourraient influencer la situation dans les mois à venir :
- Le prix du lait conventionnel : La baisse actuelle des cotations mondiales pour le beurre et les poudres devrait exercer une pression à la baisse sur le prix du lait conventionnel. Ce phénomène mécanique aurait pour effet d'augmenter à nouveau l'écart de prix avec le lait biologique, rendant potentiellement la filière bio plus attractive.
- La gestion du déclassement : Les acteurs de la collecte de lait bio adoptent une stratégie prudente pour 2026. Avant d'envisager une augmentation des volumes collectés, leur priorité est de réduire le taux de déclassement (le volume de lait bio qui doit être vendu au prix du conventionnel). Des entreprises comme Eurial annoncent un objectif de 10 % de volumes déclassés, tandis que Biolait vise 0 %.
Face à la désaffection des producteurs et au redémarrage de la demande, le risque de pénurie est bien réel, comme l'avertit Yves Sauvaget, président de la commission bio au CNIEL.
L'objectif stratégique pour l'ensemble de la filière laitière française est clair : préserver à tout prix le potentiel de production biologique actuel. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes économiques permettant aux éleveurs bio de pérenniser leur activité, garantissant ainsi au marché français de ne pas dépendre des importations pour satisfaire le regain d'appétit des consommateurs pour le lait biologique.